Communication publique : le pouvoir est passé de l’autre côté de l’écran

Au cours de la dernière décennie, les réseaux sociaux numériques (RSN) se sont imposés comme des outils incontournables de la communication institutionnelle. Initialement conçues pour favoriser l’interaction entre particuliers, des plateformes comme Facebook, Twitter/X, Instagram ou LinkedIn ont progressivement été investies par les institutions publiques, les collectivités territoriales, les ministères et les représentations diplomatiques. Cette mutation n’est pas simplement technique ; elle marque un changement de paradigme dans la manière dont les institutions conçoivent leur rapport à l’espace public, à l’information et à la relation avec les citoyens.

Dans le contexte marocain, cette évolution s’inscrit dans une dynamique plus large de modernisation de l’administration, portée notamment par le programme « Maroc Digital 2030 ». Avec plus de 21 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux au Maroc en 2025, représentant environ 55 % de la population, les citoyens sont devenus de véritables acteurs de l’espace public numérique. Les jeunes de 18 à 34 ans représentent plus de 60 % de ces usagers, ce qui oblige les institutions à adapter leurs formats, leur ton et leur temporalité à un public mobile, connecté, souvent polyglotte et en quête de reconnaissance. Cette réalité pousse les pouvoirs publics à repenser leur manière de communiquer, non seulement pour diffuser des messages officiels, mais aussi pour établir un lien durable fondé sur l’écoute, la transparence et l’interaction.

L’intégration des réseaux sociaux dans la stratégie de communication des institutions publiques permet désormais une circulation plus rapide et plus large de l’information, notamment en période de crise. En 2023, lors du séisme d’Al Haouz, plusieurs comptes institutionnels — dont ceux du ministère de l’Intérieur, de la Gendarmerie royale et des collectivités locales — ont été mobilisés pour diffuser en temps réel des consignes de sécurité, les coordonnées des centres de dons ou des services d’urgence, facilitant ainsi une coordination plus efficace avec la population. Cette réactivité illustre le rôle essentiel des RSN comme vecteurs de continuité institutionnelle dans les contextes sensibles.

Certaines administrations marocaines se démarquent par la cohérence et l’impact de leur communication numérique. La Direction Générale de la Sûreté Nationale (DGSN), suivie par plus de 1,1 million d’abonnés sur Facebook, publie chaque semaine des actualités sur la sécurité publique, des rappels à la loi, mais aussi des vidéos pédagogiques sur la prévention routière ou la lutte contre la cybercriminalité. Cette stratégie contribue à ancrer l’image d’une institution moderne, connectée et proche des citoyens. De son côté, le ministère des Affaires étrangères mobilise LinkedIn et Twitter pour affirmer la diplomatie marocaine sur la scène internationale,qu’il s’agisse de visites officielles, de signatures d’accords bilatéraux, ou de prises de parole lors de forums internationaux. Il y publie régulièrement des contenus multilingues accompagnés de photos officielles, de vidéos et de communiqués synthétiques. Cette présence numérique permet de documenter en temps réel les engagements du Maroc en Afrique et à l’échelle globale, tout en renforçant son image de puissance diplomatique stable et proactive. L’Agence nationale de la sécurité routière (NARSA) est également un cas emblématique : ses campagnes « 3ich bSalama » combinent storytelling, témoignages, vidéos choc et animation sociale pour sensibiliser les conducteurs jeunes, souvent très présents sur TikTok et Instagram.

Malgré ces avancées, l’usage des RSN par les institutions marocaines reste encore inégal. Certaines collectivités territoriales, particulièrement en zone rurale ou dans les petites villes, peinent à produire du contenu régulier ou à interagir avec les commentaires des citoyens. D’autres se limitent à une publication unidirectionnelle, sans réelle ligne éditoriale ni stratégie de réponse. Ce déséquilibre révèle un manque de formation des équipes de communication, un déficit d’encadrement organisationnel, mais aussi une résistance culturelle face aux dynamiques de transparence imposées par le numérique. Sur le plan technique, l’absence d’analyses d’audience, d’outils de mesure d’engagement ou de cellules de veille nuit à l’efficacité des messages institutionnels. Les risques sont réels : perte de légitimité, exposition aux fake news, saturation informationnelle ou encore détournement de sens.

Dans ce contexte, les jeunes jouent un rôle clé dans la reconfiguration du lien entre institutions et société. Ils représentent à la fois le public le plus présent sur les réseaux sociaux et celui qui manifeste le plus de distance à l’égard des canaux institutionnels classiques. Nombreux sont ceux qui s’informent exclusivement via les RSN, en suivant des comptes d’actualité alternatifs, des influenceurs ou des médias émergents. Ce comportement oblige les institutions à investir pleinement ces espaces pour éviter un double fossé : générationnel et informationnel. Les enjeux sont multiples. Il s’agit de recréer de la confiance envers les instances publiques, de réconcilier les jeunes avec la chose publique, et de leur offrir des formats de communication plus adaptés à leurs pratiques : capsules vidéos, formats courts, interactions en direct, plateformes de participation numérique. La jeunesse marocaine, dans sa diversité linguistique, culturelle et sociale, constitue un levier de renouveau pour la communication publique à condition qu’on l’écoute, qu’on la comprenne et qu’on lui donne une place active.

Plusieurs opportunités émergent pour renforcer l’impact de la communication publique marocaine à l’ère numérique. La première concerne la création de pôles de communication mutualisés à l’échelle régionale, capables d’accompagner les petites collectivités dans la conception et la diffusion de leurs messages. Une telle mutualisation permettrait d’assurer un minimum de cohérence graphique, linguistique et éthique tout en réduisant les coûts. La deuxième opportunité réside dans la formation certifiante des agents publics à la gestion des réseaux sociaux, aux principes de communication de crise et à la modération responsable. Des partenariats avec les écoles de journalisme, les instituts de l’ENA, ou même les agences privées spécialisées pourraient accélérer ce transfert de compétences. Un troisième axe prometteur consiste à développer des tableaux de bord de suivi et d’évaluation, intégrant des indicateurs d’impact (portée, taux d’interaction, sentiment citoyen) afin de mesurer l’efficacité des campagnes numériques et de les ajuster en continu. Enfin, il serait pertinent d’inclure dans les programmes scolaires et universitaires des modules sur la citoyenneté numérique, afin de renforcer l’esprit critique et la participation civique des jeunes dans un environnement médiatique en constante mutation.

L’usage des réseaux sociaux dans la communication institutionnelle représente ainsi bien plus qu’un changement de support : il s’agit d’un changement de culture. Du monopole de la parole à l’obligation de dialogue, de l’information descendante à la conversation permanente, l’administration marocaine est appelée à devenir un acteur actif de l’espace numérique. Le pouvoir d’informer, de légitimer et d’engager n’appartient plus uniquement à ceux qui écrivent les lois ou signent les circulaires. Il appartient désormais aussi à celles et ceux qui likent, partagent, commentent, ou interpellent — de l’autre côté de l’écran.

Digital-BPM & e-Gov Advisor | E-Reputation Branding™

  •  Doctorant Chercheur | Social-Media Analyst

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