La géostratégie contemporaine dépasse le cadre traditionnel de la puissance territoriale pour inclure des formes plus subtiles et influentes de pouvoir. Parmi elles, le Soft Power, souvent défini comme la capacité d’un pays à séduire et à attirer plutôt qu’à contraindre, joue un rôle crucial. Ce pouvoir repose sur des actions stratégiques et des résultats produits par des acteurs sociaux, qu’ils soient étatiques ou non. Ces derniers, dotés d’une autonomie décisionnelle, contribuent à forger l’image et l’influence d’un pays sur la scène internationale.
L’évolution du Soft Power est de plus en plus liée à l’émergence des acteurs non étatiques, tels que les ONG, les diasporas, les influenceurs, et, bien sûr, les plateformes numériques. Dans ce contexte, les réseaux sociaux se sont imposés comme des leviers incontournables.
La gestion du Soft Power en période de crise
La crise du Covid-19 (2020-2021) a joué un rôle catalyseur en révélant de nouveaux modèles de gestion efficaces. Par exemple, certains pays ont su combiner transparence, technologie et communication stratégique sur les réseaux sociaux pour projeter une image de résilience et de compétence.
Ces campagnes, souvent relayées par des vidéos, infographies et déclarations virales, ont laissé une empreinte marquante, positionnant ces nations comme des références en matière de gestion de crise. À l’inverse, d’autres pays ont vu leur image se détériorer en raison de leur manque de coordination ou de leur gestion opaque.

Pratiques clés du Soft Power à travers les médias sociaux
Les plateformes sociales telles qu’Instagram, Twitter, Facebook, TikTok, et YouTube jouent désormais un rôle central dans cette dynamique, permettant aux États de promouvoir leur culture, leurs valeurs, et leurs politiques auprès d’un public mondial.
Renforcer les décisions politiques
Les gouvernements utilisent les réseaux sociaux pour communiquer sur leurs actions et politiques, renforçant ainsi leur légitimité auprès des citoyens et de la communauté internationale. Par exemple :
– Chine : Avec des plateformes comme WeChat et Weibo, elle promeut des récits mettant en avant ses réussites économiques et technologiques, en masquant les critiques.
– Union européenne : Elle a lancé des campagnes numériques pour sensibiliser sur des sujets tels que le changement climatique ou la gestion migratoire.
Ces efforts permettent aux États de diffuser un message cohérent tout en créant un dialogue direct avec leur audience.
Développer une communication stratégique ou Nation Branding
La promotion d’un pays sur la scène mondiale repose sur une communication stratégique axée sur :
– L’économie : En mettant en avant ses industries phares et son innovation technologique. Exemple : L’Inde a lancé sa campagne « Make in India » en 2014, une initiative visant à transformer le pays en un centre mondial de fabrication.
– Le tourisme et la culture : Des pays comme l’Espagne ou le Maroc utilisent les campagnes numériques pour valoriser leur patrimoine et attirer des visiteurs internationaux.

Le Maroc a utilisé les médias sociaux comme un levier de soft power à travers sa campagne « Visit Morocco », largement diffusée sur des plateformes comme Instagram, YouTube et Facebook. Cette campagne met en valeur la diversité du pays, en mettant l’accent sur ses paysages (déserts, montagnes, plages) et son patrimoine culturel (médinas classées, festivals comme celui de Fès). Le hashtag #VisitMorocco est soutenu par des contenus visuels de haute qualité, souvent partagés par des influenceurs internationaux invités par l’Office National Marocain du Tourisme (ONMT). L’utilisation d’outils interactifs, comme les sondages et les vidéos en direct sur Instagram et TikTok, ainsi que des partenariats avec des blogueurs de voyage, a contribué à renforcer l’attrait du Maroc. Cette stratégie numérique a non seulement accroître l’intérêt international pour le pays, mais elle a aussi généré une hausse du nombre de visiteurs. En alliant tradition et innovation, le Maroc exploite les médias sociaux pour promouvoir son image et se positionner comme une destination touristique majeure, consolidant ainsi son soft power.
– Les compétences humaines : Certains pays, comme le Canada, valorisent leur diversité culturelle et leur système éducatif pour attirer des talents étrangers.
Ces initiatives, souvent qualifiées de Nation Branding, permettent de bâtir une image positive sur le long terme.
Soutenir les diasporas et les groupes d’influence
Les diasporas occupent une place centrale dans le déploiement du Soft Power. Parallèlement, les partenariats avec des influenceurs numériques, l’organisation de forums économiques et la collaboration avec des think tanks permettent d’atteindre des audiences diversifiées, renforçant ainsi l’image et l’influence du pays. Par exemple :
– Inde : Le gouvernement soutient ses diasporas à travers des événements comme le Pravasi Bharatiya Divas, tout en utilisant les réseaux sociaux pour maintenir des liens solides avec ses citoyens expatriés. De plus, des personnalités influentes de la diaspora indienne, comme Sundar Pichai (PDG de Google) ou Satya Nadella (PDG de Microsoft), jouent un rôle indirect mais puissant en projetant une image positive de l’Inde et de son expertise technologique.
Les médias sociaux : une révolution dans la communication du Soft Power
Les médias sociaux ont bouleversé les paradigmes traditionnels de la communication étatique. Ils permettent une diffusion rapide et massive des messages, touchant des millions de personnes en temps réel. Cette décentralisation offre plusieurs avantages :
– Une accessibilité accrue : les messages atteignent des publics variés, dans des régions autrefois difficiles à pénétrer.
– Une capacité à contrer la désinformation : les États peuvent répondre rapidement à des campagnes de propagande ou à des fausses nouvelles (fake news).
– Une personnalisation des récits : grâce aux données massives (big data), il est désormais possible de cibler des publics spécifiques avec des messages adaptés à leurs attentes.
Cependant, cette puissance des réseaux sociaux n’est pas sans risque. Les campagnes de désinformation orchestrées par certains groupes ou États adverses mettent en lumière la nécessité d’une régulation accrue et d’une collaboration entre gouvernements et géants du numérique.

Les géants du Net : des alliés ou des adversaires ?
Depuis des événements majeurs comme le printemps arabe en 2011, les plateformes sociales (Twitter, Facebook, YouTube, TikTok) se sont transformées en acteurs de poids dans les relations internationales. Grâce à leurs outils d’analyse avancés et à leur accès à une immense quantité de données, ces géants permettent aux gouvernements de mieux comprendre les dynamiques sociopolitiques.
Cependant, leur pouvoir suscite également des préoccupations. La régulation des contenus, le respect de la vie privée et la lutte contre les fakes-news deviennent des enjeux centraux dans les relations entre États et plateformes.
Médias sociaux, un outil puissant mais sous-exploité
Bien que le potentiel des réseaux sociaux dans la communication du Soft Power soit indéniable, il reste encore sous-exploité par de nombreux États. Les stratégies de communication doivent s’adapter aux nouvelles réalités numériques, tout en renforçant la transparence et l’authenticité des messages.
Le Soft Power à l’ère des médias sociaux est une opportunité unique de redéfinir l’influence internationale. Cependant, cette influence nécessite une vision à long terme, combinée à une maîtrise des outils numériques et une collaboration étroite entre acteurs publics et privés.

Ahmed LAFTIMI
Digital-BPM & e-Gov Advisor | E-Reputation Branding™
Doctorant Chercheur | Social-Media Strategist