Réseaux Sociaux : Un levier stratégique pour la communication Étatique en Afrique

L’essor du numérique continue de transformer en profondeur la communication des gouvernements dans le monde, et l’Afrique s’inscrit pleinement dans cette dynamique. Longtemps perçus comme de simples espaces de divertissement, les réseaux sociaux sont désormais des instruments stratégiques pour les États africains, facilitant la diffusion d’informations officielles, l’engagement citoyen et la gestion des crises en temps réel.

Selon le rapport Digital 2024 Global Overview Report (DataReportal), l’Afrique comptait près de 473 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux début 2024, soit environ 33,3 % de la population du continent, en hausse de plus de 7 % par rapport à 2023. Cette croissance rapide reflète une appropriation croissante de ces outils par les institutions publiques africaines.

L’un des atouts majeurs de ces plateformes est leur capacité à contourner les canaux traditionnels de l’information — presse écrite, radio, télévision — souvent concentrés dans les zones urbaines. Dans un contexte où plus de 50 % de la population africaine vit en milieu rural, les réseaux sociaux permettent une communication plus directe et inclusive. Aujourd’hui, plus de 40 chefs d’État africains disposent d’un compte officiel sur X (anciennement Twitter), Facebook ou Instagram. Le président rwandais Paul Kagame, par exemple, comptait plus de 3,4 millions d’abonnés sur X en mars 2024, ce qui lui permet de communiquer sans intermédiaire avec ses concitoyens et la communauté internationale.

Ces outils numériques ont montré leur efficacité en situation de crise. Lors de la pandémie de COVID-19, les ministères de la santé de plusieurs pays — comme le Sénégal, le Maroc et le Ghana — ont utilisé WhatsApp, Facebook et X pour informer la population, contrer les rumeurs et encourager la vaccination. En 2021, la page Facebook du ministère marocain de la Santé enregistrait une croissance de plus de 250 % du nombre de followers par rapport à 2019, preuve de l’importance de ces outils dans la gestion des crises sanitaires. En cas de catastrophes naturelles ou de menaces sécuritaires, les réseaux sociaux sont également mobilisés pour diffuser des alertes et coordonner les secours.

Les plateformes sociales ne se limitent plus à une communication descendante. Elles favorisent aussi une participation citoyenne plus active. Selon Afrobarometer (édition 2023), près de 68 % des jeunes Africains de 18 à 35 ans déclarent utiliser les réseaux sociaux pour suivre l’actualité politique ou exprimer leur opinion. Des gouvernements comme ceux du Kenya ou du Cap-Vert ont intégré ces outils dans des processus consultatifs, sollicitant l’avis des citoyens sur des projets de loi ou des réformes via des sondages en ligne ou des sessions interactives en direct.

Au-delà de leur rôle informatif, les réseaux sociaux se sont affirmés comme des espaces dynamiques d’expression citoyenne et de mobilisation collective. Ces plateformes offrent aux populations, en particulier aux jeunes, une voix pour porter des causes sociales, promouvoir la justice et renforcer la cohésion. Des campagnes comme #EndSARS au Nigeria (2020), #ZimShutdown au Zimbabwe (2019), ou encore #CongoIsBleeding (2023) illustrent la manière dont le numérique permet de fédérer des communautés autour d’idéaux communs, bien au-delà des frontières nationales.

Le hashtag #CongoIsBleeding, relayé massivement sur Instagram et X, a suscité plus de 5 millions d’interactions en quelques semaines, mobilisant des citoyens, des artistes, des journalistes et des organisations internationales autour de la situation dans l’est de la RDC. Ces mobilisations ont contribué à mettre en lumière des enjeux souvent ignorés, à faire pression pour une action politique concrète, et à ouvrir de nouveaux espaces de dialogue entre gouvernés et gouvernants. Elles témoignent du rôle croissant des réseaux sociaux comme catalyseurs de conscience collective et comme outils d’engagement pacifique en faveur du changement.

Cependant, cette évolution soulève de nombreux défis. La désinformation reste une menace sérieuse. En 2023, une étude conjointe de l’UNESCO et d’AfricTivistes a révélé que 38 % des contenus politiques les plus partagés sur les réseaux sociaux en Afrique francophone contenaient des éléments faux ou manipulés. Si plusieurs pays (comme la Côte d’Ivoire, le Bénin ou l’Éthiopie) ont adopté des lois contre les fake news, ces initiatives suscitent des inquiétudes quant à leur usage comme outils de censure ou de répression de la liberté d’expression.

Autre enjeu de taille : la fracture numérique persistante. Malgré les progrès, l’accès à Internet en Afrique reste limité à 43,8 % en 2024, selon Internet World Stats. Dans certains pays, moins de 20 % de la population rurale est connectée. Le coût des données mobiles demeure élevé : selon l’Alliance for Affordable Internet (A4AI), le prix moyen d’1 Go de données représente 4,5 % du revenu mensuel moyen, bien au-dessus de la cible de 2 % recommandée par l’ONU. Cette inégalité d’accès pose la question de l’inclusivité des communications gouvernementales.

Pour que les réseaux sociaux deviennent de véritables leviers de gouvernance démocratique, les États africains doivent adopter une approche équilibrée entre transparence, participation citoyenne et régulation responsable. Il ne suffit pas d’être présent en ligne : il faut aussi former les agents publics, établir des stratégies contre la désinformation, et investir dans les infrastructures numériques, en particulier dans les zones marginalisées.

Si ces conditions sont réunies, les réseaux sociaux pourraient s’imposer comme un pilier fondamental de la gouvernance en Afrique, favorisant une communication plus réactive, une mobilisation citoyenne plus forte et une démocratie plus participative. L’avenir dépendra de la capacité des gouvernements à s’adapter intelligemment à cet écosystème numérique en constante évolution, tout en respectant les principes de liberté, d’éthique et d’inclusion

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